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CONSTANTINOPLE.

pittoresque avec ses maisons peintes, ses cabinets saillants, ses étages qui surplombent, ses moucharabys à grillages serrés et ses habitations plus modernes où se font sentir des velléités de goût anglais ou italien. — Quelques façades blanches interrompent çà et là le bariolage arménien et turc et ne produisent pas un trop mauvais effet. — Sur le pas des portes ouvertes étaient assises ou groupées de belles jeunes femmes que le regard ne faisait pas fuir : des talikas roulaient cahotés par le pavé pierreux et contenant des familles en partie de campagne ; des cavaliers turcs passaient sur leurs chevaux barbes, suivis d’un domestique à pied et la main posée sur la croupe de la monture de leur maître ; des popes, vêtus d’une robe violette semblable à celle de nos professeurs de collége et coiffés d’un mortier de juge d’où pend un long voile de gaze noire, marchaient d’un pas grave en caressant leurs barbes frisées ; l’animation régnait partout.

La grande rue franchie, les maisons s’espacent, s’entourant de jardins plus vastes. On suit de longs murs blancs ou des clôtures de planches, au-dessus desquels se projettent par masses les feuilles épaisses du figuier ou par guirlandes les folles brindilles de la vigne.

Au bout de quelques minutes de marche, j’aperçus une porte blanche à filets bleus : c’était la maison du Ludovic ; j’entrai, et je fus reçu par une charmante femme aux grands yeux noirs, à l’ovale allongé et portant sur son jeune visage les traits typiques de la race arménienne, une des plus belles du monde, et que je préférerais peut-être à la grecque, si la courbe du nez ne devenait trop aquiline avec l’âge.

Madame Ludovic ne parlait que sa langue maternelle, et la conversation entre nous s’arrêta naturellement après les premiers saluts ; je ne sais rien de plus contrariant qu’une pareille situation, bien simple pourtant. Je me trouvai le