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CONSTANTINOPLE.

À la table d’hôte, qui était fort bien servie, venait s’asseoir majestueusement une dame derrière laquelle se tenait un superbe domestique grec en costume de Pallikare, tout brodé d’or et d’argent, qui servait sa maîtresse avec un sérieux digne d’un domestique anglais. Ce gaillard caractéristique, plus propre à charger des tromblons et des carabines derrière un rocher qu’à changer des assiettes, produisait un assez bizarre effet, et je ne crois pas qu’on ait jamais versé du vin dans un verre d’une façon si grandiose. Les méchantes langues prétendaient même que là ne se bornaient pas ses fonctions, mais il ne faut jamais croire que la moitié de ce qu’on dit.

Le soir, les femmes arméniennes et grecques faisaient assaut de toilette pour se promener dans l’espace étroit resserré entre les maisons et la berge : les robes de soie les plus lourdes et les plus épaisses s’y déployaient à larges plis ; les diamants brillaient aux rayons de la lune, et les bras nus étaient chargés de ces énormes bracelets d’or aux chaînes multiples, ornement particulier à Constantinople, et que nos bijoutiers feraient bien d’imiter, car ils donnent de la sveltesse au poignet et avantagent la main.

Les familles arméniennes sont fécondes comme les familles anglaises, et ce n’est point chose rare que de voir une ample matrone précédée de quatre ou cinq filles, toutes plus jolies les unes que les autres, et d’autant de garçons très-vivaces ; les coiffures en cheveux, les corsages décolletés, donnent à cette promenade l’aspect d’un bal en plein air ; quelques chapeaux parisiens s’y montrent, comme au Prado de Madrid, mais en petite quantité.

Dans les cafés, qui ont tous des terrasses sur la mer, l’on prend des glaces faites avec la neige de l’Olympe de Bithynie, on hume de petites tasses de café accompagnées de verres d’eau, et l’on brûle le tabac de toutes les manières imagi-