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SMYRNE.

joli travail, le tout recouvert d’un toit saillant et retroussé ; l’eau ruisselle à l’entour dans une rigole où les musulmans se lavent les pieds jusqu’aux genoux et les mains jusqu’aux coudes, d’après les prescriptions de Mahomet, sans parler d’une ablution plus intime que l’ampleur des vêtements orientaux permet d’accomplir avec décence, même en public.

C’était l’heure de la prière ; nous montâmes l’escalier de la mosquée jusqu’au parvis, qu’il eût été dangereux de franchir. La foule était considérable, et l’enceinte, trop étroite, ne pouvait contenir tous les fidèles. — Une montagne de babouches, de souliers et de savates s’élevait à la porte du temple, et trois rangs de dévots alignés sous le portique aux arcades découpées en cœur suivaient, le visage tourné vers la Mecque, la liturgie pratiquée à l’intérieur par le mollah. Quelle que soit leur croyance, des hommes qui adorent Dieu dans la sincérité de leur âme ne doivent présenter rien de ridicule ; cependant les évolutions pieuses de ces bons musulmans, exécutées comme la charge en douze temps sous le bâton d’un caporal prussien, me semblaient, malgré moi, passablement étranges. — J’avais beau me dire que nos cérémonies catholiques devaient leur paraître réciproquement baroques, j’eus bien de la peine à m’empêcher de rire lorsque, se précipitant tous le nez en avant, ils offrirent, sur trois rangs de profondeur, une perspective à charmer les matassins de Molière. Rien ne peut être grotesque aux yeux de celui qui a tout fait ; mais je crois que si j’étais Dieu, mes dévots me feraient trouver mon culte si risible que je supprimerais ma religion.

Au sortir de la mosquée, noue allâmes à l’église grecque, qui était toute tendue de calicot rouge d’un effet assez affreux et barbouillée de fresques modernes peintes par des vitriers italiens. Cela ressemblait assez au salon de Momus ou à