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LA TROADE, LES DARDANELLES.

la plage était mamelonnée de tentes blanches et vertes sous lesquelles campaient des troupes. Je ne vous dirai pas précisément le nom de cet endroit, attendu que chaque personne à qui je l’ai demandé m’en a désigné un différent, ce qui est très-ordinaire dans un pays où, au nom grec primitif, se superpose le nom latin recouvert par le nom turc, le tout badigeonné par le nom franc pour plus grande clarté ; cependant, je pense que c’était Chanak-Kalessi, que nous autres Européens nous traduisons librement par Dardanelles.

Le vent, le courant, le peu d’étendue du bassin rendaient les eaux clapoteuses, et de petites lames courtes berçaient assez rudement une barque à plusieurs rameurs qui tâchait d’accoster le Léonidas, arrêté pour l’attendre au milieu du Bosphore. Cette barque portait un pacha se rendant à Gallipoli, à l’entrée de la mer de Marmara. C’était un gros homme, d’encolure épaisse, à figure large et grasse, mais fine sous son empâtement. Il était vêtu de l’affreux costume du Nizam, le fez rouge et la redingote bleue boutonnée droit ; une suite nombreuse s’empressait autour de lui, intendant, secrétaires, porte-pipes et autres menus officiers, sans compter les cawas et les domestiques. Tout ce monde déplia des tapis, déroula des matelas, et s’accroupit dessus ; les mieux élevés s’assirent sur les bancs, et se contentèrent de tenir un de leurs pieds dans une de leurs mains, pour se donner une contenance.

Les bagages étaient curieux. C’étaient des narghilés enfermés dans des écrins de maroquin rouge, des paquets de tuyaux de cerisier et de jasmin, des corbeilles revêtues de cuir en façon de malles, gaufrées d’or autour des serrures et piquées des plus jolis dessins, des rouleaux de tapis de Perse et des tas de carreaux. Il y avait dans cette bande des types assez bizarres, entre autres un jeune garçon obèse,