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CONSTANTINOPLE.

Le hammal est une espèce particulière à Constantinople : c’est un chameau à deux pieds et sans bosse ; il vit de concombres et d’eau, et porte des poids énormes par des rues impraticables, des montées perpendiculaires et des chaleurs accablantes. Au lieu de crochets, il porte sur les épaules un coussinet de cuir rembourré sur lequel il pose les fardeaux, sous lesquels il marche tout courbé, et prenant la force dans le col, comme les bœufs. Son costume consiste en larges grègues de toile, en une veste de grosse étoffe jaunâtre et un fez entouré d’un mouchoir. Les hammals ont le torse extrêmement développé, et souvent, chose extraordinaire, des jambes très-grêles. On conçoit à peine comment ces pauvres tibias, recouverts d’une peau tannée et semblables à des flûtes dans leur étui, peuvent soutenir des poids qui feraient plier des Hercules.

En suivant le hammal, qui se dirigeait vers le logement retenu pour moi, je m’enfonçais dans un dédale de rues et de ruelles étroites, tortueuses, ignobles, affreusement pavées, pleines de trous et de fondrières, encombrées de chiens lépreux, d’ânes chargés de poutres ou de gravats, et le mirage éblouissant que présente Constantinople de loin s’évanouissait rapidement. Le Paradis se changeait en cloaque, la poésie se tournait en prose, et je me demandais, avec une certaine mélancolie, comment ces laides masures pouvaient prendre par la perspective des aspects si séduisants, une couleur si tendre et si vaporeuse. Je gagnai, sur les talons de mon hammal et m’accrochant au bras de mon guide, la chambre qui m’était destinée chez une hôtesse smyrniote, copa syrisca, comme celle de Virgile, près de la grande rue de Péra, bordée de bâtisses insignifiantes mais de bon goût, dans le genre des rues de troisième ordre de Marseille ou de Barcelone.

J’étais venu de Paris en douze jours et demi, marchant