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CONSTANTINOPLE.

qu’accompagnait une étoile, semblait broder le blason de l’Empire sur l’étendard céleste.

L’eau du golfe multipliait, en les brisant, les reflets de ces millions de phosphorescences et paraissait rouler des torrents de pierreries à demi fondues. La réalité, dit-on, reste toujours au-dessous du rêve ; mais ici le rêve était dépassé par la réalité. Les contes des Mille et Une Nuits s’offrent rien de plus féerique, et le ruissellement du trésor effondré d’Haraoun al-Raschid pâlirait à côté de cet écrin colossal flamboyant sur une lieue de longueur.

Pendant le Ramadan, on jouit d’une liberté plénière ; la lanterne n’est pas obligatoire comme dans les autres temps ; les rues, brillamment illuminées, rendent inutile cette précaution de police. Les giaours peuvent rester à Constantinople jusqu’à ce que les dernières lumières s’éteignent, hardiesse qui ne serait pas sans danger à une autre époque. Aussi acceptai-je avec empressement la proposition que me fit un jeune Constantinopolitain, à qui j’étais recommandé, de descendre à l’échelle de Top’Hané, de fréter un caïque pour aller voir le sultan faire sa prière à Schiragan, et de finir la soirée dans la ville turque.

On descend de Péra à Top’Hané par une espèce de ruelle en montagne russe, assez semblable au lit d’un torrent à sec. Pour un pied parisien habitué aux élasticités du bitume, à la mollesse du macadam, cette dégringolade est un rude exercice. Grâce au bras que me donnait mon compagnon, très-expert dans la géographie des casse-cous de ce calvaire, j’arrivai au bas sans entorse, — résultat inespéré et surprenant. Je ne marchai même sur la patte d’aucun chien, et je ne me fis sauter aux jambes aucun de ces aimables animaux.

À mesure que nous descendions, et surtout à partir d’une petite fontaine turque à toit projeté où la rue se divise, la