Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
COPIE DU JUGEMENT DERNIER.

Ce Michel-Ange, regardé jusqu’ici comme un artiste chrétien, est bien le plus effréné païen qui ait jamais pétri et manipulé de la chair. La tête, les mains et les pieds, c’est-à-dire tout ce qui a de l’importance dans l’art chrétien, les seules portions du corps humain qu’il soit permis de montrer selon la pensée moderne, n’existent pas pour lui. Son idéal est évidemment le torse antique ; il regarde la tête comme un détail et ne s’en occupe que par manière d’acquit ; — le crâne est nul, le front déprimé ; très souvent le bras est plus large que la face ; tous les personnages, anges, démons, élus, damnés, sont musclés également ; le Christ lui-même, auquel les peintres donnent habituellement un caractère de douceur féminine, écraserait une enclume d’un coup de poing ; Michel-Ange s’attaque tout d’abord aux pectoraux, aux flancs, au ventre, à la vie, à la santé ; ce qu’il veut rendre, c’est le tempérament, et personne n’y a réussi comme lui.

Quoique j’admette très volontiers la convention en fait d’art, j’avoue que des anges athlétiques, les bras noueux, l’épaule large à porter une tour, soufflant à tout rompre, avec des joues comme des ballons, dans des trompettes de cuivre, sans ailes qui les soutiennent, sans fluide éthéré et lumineux pour adoucir leurs contours, sont assez difficiles à reconnaître pour des anges ; ils ont plutôt l’air de crieurs publics qui ont mis leurs habits en gage. Je veux