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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

Quoi qu’on dise et qu’on fasse, il y aura toujours des poètes. Le besoin d’exprimer ses idées d’une manière rythmique est inné chez l’homme, et dans dans toutes les littératures le vers a précède la prose, quoique le procédé contraire paraisse d’abord plus naturel ; avant l’invention de l’imprimerie et la propagation de l’écriture, il n’y avait que des poètes. La forme inflexible du vers, dont on ne peut déranger une seule syllabe sans en détruire complètement l’harmonie, se gravait plus profondément dans les mémoires et conservait beaucoup mieux ce qu’on lui confiait. Un distique passait par vingt bouches et ne subissait aucune variante ou interpolation, ce qui serait invariablement arrivé à une phrase de prose, si artistement combinée qu’elle fût. Puis, outre ces raisons, le plaisir qui résulte de l’harmonie et de la difficulté vaincue est très réel et très grand. Tous les utopistes à grand jargon, les économistes saint-simoniens, phalanstériens, palingénésiques, mystagogues, et tels autres gâcheurs de néologismes et de mauvais français, auront beau crier à l’inutilité et à la folie contre les poètes, ils n’empêcheront personne de faire rimer amour et jour. Inutilité pour inutilité, et folie pour folie, il vaut encore mieux des poètes. Watt, l’inventeur des bateaux à vapeur, n’est pas, à beaucoup près, un aussi grand génie que le rapsode Homère. Les Chinois, ce peuple de porcelaine et de vieux laques, qui, sous un