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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

et morne est un des plus riches sanctuaires de l’art moderne. Raphaël, s’il revenait au monde, s’arrêterait là plus volontiers qu’ailleurs et s’y trouverait comme chez lui.

Quoiqu’il ait eu son génie tout jeune, M. Ingres n’a eu sa réputation que fort tard sa gloire s’est épanouie à son automne comme une fleur tardive. Mais cette renommée, qui s’est fait si longtemps attendre, en venant, a donné à l’artiste une nouvelle jeunesse. À l’âge où l’esprit devient paresseux et la main pesante, M. Ingres a tout l’enthousiasme d’un néophyte, et jamais son pinceau ne fut plus ferme.

La vie de M. Ingres n’a été occupée que d’une seule passion, celle de l’art. Ce chaste amour sans déception l’a conservé jeune. Son œil brille de tout le feu d’un œil de vingt-cinq ans, et les années n’ont pas glissé un fil d’argent dans ces boucles noires que sépare sur le front une petite raie, hommage mystérieux et symbolique à la mémoire du maître adoré, du bel Ange d’Urbin. Sa main secoue la vôtre avec une vigueur qui ne sent en rien son sexagénaire. M. Ingres fournira une carrière aussi longue que celle du Titien, et ses tableaux centenaires seront les meilleurs, car, chose étrange, il fait chaque jour des progrès, et ce maître souverain, arrivé au bout de l’art, apprend encore.

Le tableau qui nous attirait dans son atelier,