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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/312

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CHARLES BAUDELAIRE.

vain même dont nous essayons d’apprécier le talent, c’est la différence de la lumière crue, blanche et directe du midi, écrasant toutes choses, à la lumière horizontale du soir, incendiant les nuées aux formes étranges de tous les reflets des métaux en fusion et des pierreries irisées. Le soleil couchant, pour être moins simple de ton que celui du matin, est-il un soleil de décadence digne de mépris et d’anathème ? On nous dira que cette splendeur tardive, ou les nuances se décomposent, s’enflamment, s’exacerbent et triplent d’intensité, va s’éteindre bientôt dans la nuit ; mais la nuit qui fait éclore des millions d’astres, avec sa lune changeante, ses aurores boréales, ses pénombres mystérieuses et ses effrois énigmatiques, n’a-t-elle pas bien aussi son mérite et sa poésie ?

Cette espèce de critique qui, ne comprenant pas l’autonomie de l’art, demande au poète d’enseigner, de prouver, de moraliser, d’être utile enfin, a été singulièrement inquiétée par le livre de M. Baudelaire. Le grand mot immoral a été tâché à propos de lui, mot gros de jésuitisme, d’ignorance et de mauvaise foi. L’auteur, pour qui la poésie est à elle-même son propre but, ne saurait être immoral, car il ne prêche aucune doctrine, n’indique aucune solution et ne conseille pas. Il dispose des éléments pour un effet quelconque. La sensation qu’il veut produire est celle du beau, qui s’obtient dans l’horreur comme dans la grâce. Il va jusqu’à s’interdire l’éloquence et