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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/319

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

pas d’analyser un à un les petits poèmes de M. Ch. Baudelaire. Chaque poésie est réduite par ce talent concentrateur en une goutte d’essence renfermée dans un flacon de cristal à mille facettes, atar-gul, hachisch, opium, vinaigre ou sel anglais qu’il faut boire ou respirer avec précaution, comme toutes les liqueurs d’une exquisité intense.

Nous citerons seulement parmi les pièces nouvelles « les Petites Vieilles, » fantaisie singulière, où sous les délabrements de la misère, de l’incurie ou du vice, l’auteur, « parmi ces Ninons cariées et ces Vénus du Père-ta-Chaise, retrouve avec une pitié mélancolique des vestiges de beauté, des restes d’élégance, un certain charme fané, et comme une étincelle d’âme. Celle qu’il intitule « Rêve parisien » est un cauchemar splendide et sombre, digne des Babels à la manière noire de Martynn. C’est un paysage ou plutôt une perspective magique faite avec du métal ; du marbre et de l’eau, et d’où le végétal irrégulier est banni. Tout est rigide, poli, miroitant sous un ciel sans lune, sans soleil et sans étoiles ; au milieu d’un silence d’éternité montent, éclairés d’un feu personnel, des palais, des colonnades, des tours, des escaliers, des châteaux d’eau d’où tombent, comme des rideaux de cristal, des cascades pesantes. Des eaux bleues s’encadrent comme l’acier des miroirs dans des quais ou des bassins d’or bruni, ou coulent sous des ponts de pierres pré-