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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

Les poètes sont donc injustement dépréciés par les faiseurs de feuilleton et de pathos utilitaire, et autres petits esprits, qui, parce qu’ils sont stériles et incolores, se croient exacts et judicieux. Les poètes, quand ils voudront, composeront des premiers premiers Paris d’une portée et d’un style bien au-dessus de tout ce que ces messieurs ont confectionné de plus transcendant ils feront de la politique, sans les mauvaises figures de rhétorique qui font toute l’éloquence de nos Montesquieu au petit pied.

Ils sont bons à autre chose qu’à rimer des vers, quoique je ne voie pas trop ce qu’on pourrait faire de mieux que de bons vers ; votre prose ne vaut pas la leur, et à vous tous, vous n’êtes pas capables de trouver une de leurs strophes, et votre dédain ressemble un peu trop à celui du renard qui n’avait pas de queue ; car je ne saurais expliquer d’une autre manière l’acharnement de la critique contre la poésie.

En effet, le grand et large style, qui coule comme un fleuve d’Amérique en charriant des îles de fleurs dans son cours harmonieux et lent, ressemble à s’y méprendre à de la poésie ; ces vagues de phrases limpides et sonores font penser aux divines paroles qui abondaient dans la bouche d’Homère, comme dit le poète grec André Chénier. La période est métrique, cadencée, avec des repos et des chutes ménagées à loisir ; ce sont presque des vers blancs ; pour