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FUSAINS ET EAUX-FORTES

fait exiguë, peut-être à cause de l’idée indéfinie que je m’étais faite de sa grandeur, sans songer à la perspective. Oh pauvres poètes qui avez tâché de vous former une idée de la mer sur les tableaux des peintres et les récits des auteurs, voilà les déceptions auxquelles vous êtes exposés si vous voulez admirer quelque chose et en faire de belles descriptions n’allez pas voir, tenez-vous-en à la tempête de Virgile ou de Cooper, ne voyez de bateaux de pêcheur que dans les régalantes pochades d’Isabey ; cela sera beaucoup plus sage.

Cependant, pour être juste avec l’Océan, je dois dire que j’y vis un coucher de soleil très passable et un lever de lune presque aussi beau qu’un décor à l’Opéra. Le temps était très clair, le ciel d’une teinte citron pâle ; la mer, frappée horizontalement par la lumière, tremblait et miroitait comme le ventre d’une ablette.

La plage cendrée, avivée d’un reflet orange, ne contrariait en rien cette douceur de ton et concordait à l’harmonie générale. Il n’y avait que trois couleurs le citron du ciel, le vif-argent de la mer et l’orange de la plage. Puis le soleil, pareil à un gros ballon de taffetas couleur de feu, dont le gaz s’échappe, qui tombait lentement à l’horizon. Quand il fut tout au bord de l’extrême ligne et qu’il eut plongé dans l’eau, il se dessina sur son disque échancré la silhouette noire d’une côte lointaine que