Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/100

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de voûte, tous les morceaux de cette architectonique littéraire disséminée et brouillée sans que nul œil, même celui de l’ami, puisse en reconnaître le plan, nous retrouvons de temps à autre d’anciennes lettres de nous imprégnées de vinaigre, lacérées aux échelles du Levant par les ciseaux de la Santé, jaunes comme les bandelettes qui enveloppent les momies, adressées à notre ami du temps de son voyage en Orient et qui, plus heureuses que nous, ont fait caravane avec lui : nous les lisons en prenant garde de briser tout à fait leurs plis cassés, et une voix basse, affaiblie, lointaine, reconnaissable encore, qui est la nôtre, nous chuchote du bout des lèvres à l’oreille, avec des mots connus, des tournures de phrases habituelles, des idées et des nouvelles ayant cours alors. Comme tout cela est loin, emporté par rapides nuées dans un oubli profond, et pourtant comme c’est près encore ! comme le cœur change peu ! comme les mêmes idées serpentent à travers les circonvolutions de la cervelle, se rencontrant et se saluant aux carrefours accoutumés ! La plupart de ces phrases, datées de trente ans, nous eussions pu les jeter à la poste hier et, à leur arrivée, elles n’auraient pas paru beaucoup plus démodées qu’écrites le même matin. L’homme ne varie pas tant qu’il s’en flatte !

Nous revoyons là nos anciens paradoxes qui gambadent avec assez d’agilité pour leur âge et dont quelques-uns sont devenus des vérités. Les jugements de notre jeunesse, dans leur insolence sincère