Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/164

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l’acceptait avec joie lorsqu’il voulait bien y écrire, et si nous y faisons seul le feuilleton de théâtre, c’est que son humeur vagabonde s’est lassée bien vite de ce travail à heure fixe, insupportable pour lui, et dont cependant il venait tourner la meule à notre place, avec un dévouement amical qui ne s’est jamais démenti, lorsque notre instinct voyageur nous emportait en Espagne, en Afrique, en Italie ou ailleurs. Fraternelle alternative qu’il comparait à celle des Dioscures, dont l’un parait quand l’autre s’en va. Hélas ! lui est parti pour ne plus revenir.

Ce que notre époque offre de ressources à tout écrivain de talent fut donc mis à sa disposition ; il fit même, il y a quelque quinze ans, un petit héritage qui dora d’un éclat passager les commencements de sa carrière ; mais l’argent était son moindre souci. Jamais l’amour de l’or, qui inspire aujourd’hui tant de fièvres malsaines, ne troubla cette âme pure qui voltigea toujours comme un oiseau sur les réalités de la vie sans s’y poser jamais. Si Gérard n’a pas été riche, c’est qu’il ne l’a pas voulu et qu’il a dédaigné de l’être. Les louis lui causaient une sorte de malaise et semblaient lui brûler les mains ; il ne redevenait tranquille qu’à la dernière pièce de cinq francs. Comme artiste, il avait bien de temps à autre quelque velléité de luxe : un lit sculpté, une console dorée, un morceau de lampas, un lustre à la Gérard Dow, le séduisaient ; il déposait ses emplettes dans une chambre ou chez un camarade, où il les oubliait ; quant au confort, il n’y tenait en aucune