Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’eussiez-vous été même en ne faisant que des vers ? — Le fâcheux de la chose, c’est que Pégase — comme on le voit dans la ballade de Schiller — n’est jamais, même lorsqu’il se résigne, un bien bon cheval de labour ; il trace quelques sillons droits, puis s’emporte, ouvre ses immenses ailes, casse ses traits, ou, s’il ne le peut, enlève avec lui le laboureur et la charrue, quitte à les laisser tomber plus loin brisés en mille pièces. En somme, la poésie est un don fatal, une sorte de malédiction pour celui qui le reçoit en naissant, — une grande fortune même n’empêche pas toujours le poëte d’être malheureux ; l’exemple de Byron le prouve assez.

Le dénoûment a remué les spectateurs comme aux premiers jours. — La passion la plus extrême et la plus pure y palpite d’un bout à l’autre. — Il ne s’agit plus ici de littérature ni de poésie. Chatterton, dès qu’il s’est décidé à mourir, redevient un homme et cesse d’être une abstraction. Du cerveau, le drame descend au cœur ; l’amour contenu éclate ; la mort est en tiers dans l’entrevue suprême ; et quand les lèvres de Chatterton effleurent le front immaculé de Ketty Bell, à ce premier et dernier baiser, la pauvre femme comprend que le pâle jeune homme va mourir. John Bell peut appeler tant qu’il voudra avec sa grosse voix, la timide créature ne répondra pas, et du seuil de la chambre funèbre glissera sur la rampe de l’escalier pour tomber à genoux et cacher sa tête innocemment coupable entre les feuillets humides de sa Bible.

La figure de Kitty Bell, cette angélique puritaine,