Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/185

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abords de la Porte-Saint-Martin le soir de la première représentation d’Antony, en 1831. C’était une agitation, un tumulte, une effervescence dont on se ferait difficilement une idée aujourd’hui. Il y avait là des mines étranges et farouches, des moustaches en croc, des royales pointues, des cheveux mérovingiens ou taillés en brosse, des pourpoints extravagants, des habits à revers de velours rejetés sur les épaules comme on en voit encore dans les lithographies de Devéria, des chapeaux de toutes les formes, excepté, bien entendu, de la forme usuelle. Les femmes, un peu effarées, descendaient de voiture, parées à la mode du temps, avec leurs coiffures à la girafe, leur haut peigne d’écaille, leurs manches à gigot et leurs jupes courtes laissant voir des souliers à cothurne. Parfois la foule s’ouvrait et donnait passage à quelque jeune maître déjà célèbre, poète, romancier ou peintre, vers qui les mains amies se tendaient. Des groupes nombreux stationnaient sur le boulevard et, ne pouvant avoir de place, regardaient entrer les favorisés.

Ce que fut la soirée, aucune exagération ne saurait le rendre. La salle était vraiment en délire ; on applaudissait, on sanglotait, on pleurait, ou criait. La passion brûlante de la pièce avait incendié tous les cœurs. Les jeunes femmes adoraient Antony ; les jeunes gens se seraient brûlé la cervelle pour Adèle d’Hervey. L’amour moderne se trouvait admirablement figuré par ce groupe, auquel Bocage et madame Dorval donnaient une intensité de vie extraor-