Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/199

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Shakspeare, de Victor Hugo et des poètes romantiques, ne faisait pas encore de littérature. Il étudiait la manière-noire sous l’Anglais Reynolds, et travaillait à la planche représentant le Naufrage de la Méduse d’après Géricault. Il était, comme nous tous, fort exalté et déclamait avec une ardeur furibonde, ce qui lui avait valu, dans la préface des Rhapsodies, l’appréciation suivante : « Bouchardy, cœur de salpêtre », phrase à laquelle nous ajoutions, pour complément, « et graveur au pointillé », plaisanterie que le futur auteur de Lazare le pâtre et de Christophe le Suédois acceptait de fort bonne grâce.

Bouchardy avait une tête tout à fait exotique. Il semblait appartenir à la race malaise, et il eût dit qu’il était né à Sumatra ou à Ceylan, qu’on l’aurait cru sur parole. Son teint, excessivement hâlé, où se glissaient des nuances jaune d’or, paraissait avoir été coloré par un soleil plus ardent que le nôtre, et pourtant Bouchardy n’avait guère quitté Paris ou dépassé la banlieue dans ses plus lointains voyages. Ses cheveux étaient si noirs, qu’ils en prenaient des reflets bleus ; de grands yeux à sclérotique jaune, des sourcils fortement marqués, une fine moustache et une faible barbe soyeuse complétaient cette physionomie indoue, et il ne lui manquait qu’une robe et un turban de mousseline blanche pour être le portrait vivant du héros Rama, du roi Douchmanta ou du prince Radin-Maniri. Tel était Bouchardy in illo tempore, et nous en avons fait