Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/297

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vant une rangée de chandelles non mouchées, entre quatre lampions fumeux.

Il est singulier qu’un acteur de ce génie n’ait pas tout d’abord fait partie de la Comédie-Française. — Balzac, il est vrai n’était pas de l’Académie. — Ces talents excessifs effrayent toujours un peu les corps constitués. — Cela a nui à la Comédie-Française, non à Frédérick, que les poëtes et les habiles ont accompagné dans sa carrière nomade. À la Porte-Saint-Martin, il a trouvé Richard d’Arlington, Gennaro, Don César de Bazan ; à la Renaissance, Ruy Blas ; aux Variétés, Kean ; à la Gaîté, Paillasse, sans compter cent drames qu’il a fait vivre de sa vie puissante et qui semblaient des chefs-d’œuvre lorsqu’il les jouait.

Frédérick a ce privilége d’être terrible ou comique, élégant et trivial, féroce et tendre, de pouvoir descendre jusqu’à la farce et monter jusqu’à la poésie la plus sublime comme tous les acteurs complets ; ainsi il peut lancer l’imprécation de Ruy Blas dans le conseil des ministres et débiter le pallas de paillasse dans une place de village. Richard d’Arlington, il jette sa femme par la fenêtre avec la même aisance qu’il cuisine la soupe aux choux du saltimbanque et porte son fils en équilibre sur le bout de son nez. Il dit : « En avant la musique ! » aussi bien que


Je le tiens écumant sous mon talon de fer.


ou


Je crois que vous venez d’insulter votre reine.