Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/302

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n’avait cependant diminué en rien ses facultés de comédien ; il le fit bien voir dans le père de Claudie, où l’Antony des premiers jours s’était transformé en vieillard vénérable, patriarcal et presque biblique. Le Marbrier lui fournit aussi une scène où, par un jeu muet, il put faire fondre en larmes toute une salle. Il joua dans le Paris de M. Paul Meurice un rôle long, difficile, à transformations multiples, que nul n’eût pu rendre comme lui, et enfin il eut ce bonheur, après bien des traverses dramatiques, de mourir en pleine lumière, à la suite d’un succès qui fit voir à la jeune génération surprise ce qu’était ce Bocage dont nous lui faisions des récits. Comme il savait se rendre jeune, élégant, coquet, plein de grâce et de galanterie pour soutenir le renom des Beaux Messieurs de Bois-Doré jusqu’au moment où, l’héritier légitime retrouvé, il reprenait ses pantoufles, sa robe de chambre et ses cheveux blancs, n’étant plus forcé de représenter la vie luxueuse et brillante au manoir ! N’y a-t-il pas dans ce rôle à deux faces et la mort si voisine de l’acteur un sujet de rapprochement mélancolique ? Le comédien semble, comme M. de Bois-Doré, avoir voulu montrer combien encore il pouvait être aimable, charmant, fin et tendre. Il a déployé, en une occasion suprême, ces grâces dont on n’a plus le secret, et, le succès obtenu, avant que le tumulte flatteur des applaudissements se soit apaisé, il a essuyé tranquillement le fard de sa joue pâle d’une mort future, jeté la perruque blonde qui cachait ses cheveux d’ar-