succédé devant elle, et les fils comme les pères vantaient sa beauté indestructible. Le temps, edax rerum, semblait avoir peur d’altérer ce pur marbre ; il le respectait, il le ménageait, sachant bien que la nature serait longue à reproduire un pareil chef-d’œuvre. Georges était faite à la taille des tragédies d’Eschyle ; sur le théâtre de Bacchus, elle eût, dans l’Orestie, joué Clytemnestre sans cothurne. Et ce n’était pas seulement une statue digne de Phidias, une forme merveilleuse et parfaite : l’intelligence, la passion, le génie animaient ce beau corps ; une âme brûlait dans cette perfection sculpturale.
Cette Melpomène, que les Grecs n’eussent pas rêvée plus belle, plus sévère et plus grandiose, savait sortir de son temple à colonnes doriques et entrer, la tête haute, dans le décor compliqué du drame ; son profil magnifique ne se détachait pas moins pur d’une tenture en cuir de Cordoue que d’un velum de pourpre. Elle était chez elle à Venise et à Ferrare comme à Rome ou à Mycènes, et en venant de l’antiquité dans le moyen âge, elle ressemblait à Hélène dans le château gothique de Faust. La déesse se devinait à travers le costume. Chose étrange, elle a été l’idole des classiques et l’idole des romantiques. Quelle Clytemnestre, quelle Agrippine, quelle Cléopâtre, quelle Sémiramis ! disaient les uns. — Quelle Lucrèce Borgia, quelle Marie Tudor, quelle Marguerite de Bourgogne ! répondaient les autres. Et les deux partis avaient raison : le drame lui doit autant que la tragédie.