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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/338

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Victor Hugo, a fait preuve au contraire d’une originalité presque farouche, qui l’isole dans le clan romantique. On peut aimer, admirer un maître et se dévouer à lui jusqu’au fanatisme, sans le copier pour cela. Rien ne ressemble moins au débordant lyrisme, à l’exubérance intarissable de Victor Hugo, que la manière décisive, brève et tendant toujours au but de Vacquerie. La volonté chez lui domine toujours l’inspiration et le caprice. Il faut qu’une pièce de vers exprime d’abord l’idée qu’on lui confie, et l’auteur ne lui permet guère de courir en chemin après les fleurs et les papillons, à moins que cela ne rentre dans son plan et ne serve comme contraste ou comme dissonance. S’il retouche un morceau, c’est pour retrancher et non pour ajouter ; il ne greffe pas, il coupe, ne voulant rien laisser que d’essentiel. Auguste Vacquerie pourrait dire comme Joubert : « S’il est un homme tourmenté par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c’est moi. » Cette sobriété mâle, sans complaisance pour elle-même, et qui s’interdit tout ornement inutile, l’auteur de l’Enfer de l’esprit et des Demi-teintes l’apporte dans tout ce qu’il fait. Ce poëte a en lui un mathématicien qui se demande toujours : « À quoi bon ? » Sa pensée, haute, droite peu flexible, ne connaît pas les moyens termes, et quand par hasard elle se trompe, c’est avec une conscience imperturbable, un aplomb effrayant et une rigueur de déduction qui vous stupéfie. L’er-