Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/345

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plus d’un rapport à la fameuse chanson des Gueux de Béranger, et qui exprime avec une insouciance joyeuse et mélancolique la solidarité des braves cœurs dans la misère, renferme une note toute particulière et spéciale à Pierre Dupont. Ce cri soudain :


Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes !


enlève l’âme du milieu sombre où elle se trouve. Une bouffée d’air pur et un gai rayon de lumière entre dans ces taudis sombres faits pour loger des hiboux plutôt que des hommes. Ce coup d’aile vers l’azur manque à la chanson de Béranger, d’un tour si net d’ailleurs et d’un rhythme si entraînant.

À ce moment, et sans fol éblouissement d’orgueil, Pierre Dupont put se dire un poëte populaire et national. Il croyait avoir à jamais mêlé son nom à la grandeur des choses ou du moins à ce qui paraissait grand alors ; mais dans l’art les événements passent, et la beauté seule reste. La Muse est jalouse ; elle a la fierté d’une déesse et ne reconnaît que son autonomie. Il lui répugne d’entrer au service d’une idée, car elle est reine, et dans son royaume tout doit lui obéir. Elle n’accepte de mot d’ordre de personne, ni d’une doctrine ni d’un parti, et si le poëte, son maître, la force à marcher en tête de quelque bande chantant un hymne ou sonnant une fanfare, elle s’en venge tôt ou tard. Elle ne lui souffle plus ces paroles ailées qui bruissent dans la lumière comme des abeilles d’or, elle lui retire l’harmonie