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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/352

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de contemplation infinie et d’immobilité absolue qui touche de bien près au nirvana indien. Il proscrit la passion, le drame, l’éloquence, comme indignes de la poésie, et de sa main droite il arrêterait volontiers le cœur dans la poitrine marmoréenne de la Muse. Le poëte, selon lui, doit voir les choses humaines comme les verrait un dieu du haut de son Olympe, les réfléchir sans intérêt dans ses vagues prunelles et leur donner, avec un détachement parfait, la vie supérieure de la forme : telle est, à ses yeux, la mission de l’art. De semblables doctrines font bientôt quitter le Pinde pour le mont Mérou et l’Ilissus pour le Gange. Aussi aux poèmes helléniques succèdent des poèmes indous, où des noms harmonieusement bizarres s’épanouissent comme des lotus et résonnent comme les grelots d’or aux chevilles de Vasantaséna. L’hymne orphique est coudoyé par l’hymne védique ; Çurya, Bhagavat, Çunacépa, Viçvamitra, Çanta, déroulent les vagues cosmogonies indiennes en vers magnifiques tantôt constellés d’images qui ressemblent aux pierreries et aux perles semées sur le vêtement des maharadjahs, tantôt inextricablement touffus comme les jungles où se rase le tigre, où se lève le cobra capello, où le singe descendant d’Hanouman rit et grince des dents, suspendu aux lianes ; mais toujours par quelque trouée, apparaît la pensée sereine du poëte dominant son œuvre comme le sommet blanc d’un Himalaya, dont aucun soleil, même celui de l’Inde, ne saurait fondre la neige éternelle et immaculée.