Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/40

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qu’il avait quitté ses aïeux la veille. Nous n’avons vu cette expression à personne ; le croire Français, né dans ce siècle, eût été difficile. Espagnol, Arabe, Italien du quinzième siècle, à la bonne heure.

Grâce à sa barbe, à sa voix puissante et douce, à son costume pittoresquement arrangé sans trop sortir de la mode ordinaire et maintenu avec goût dans les teintes sombres, Petrus Borel nous en imposait extrêmement et nous lui témoignions un respect qui n’est pas ordinaire entre jeunes gens à peu près du même âge ; il parlait bien, d’une façon étrange et paradoxale avec des mots d’une bizarrerie étudiée et une sorte d’âpreté éloquente ; il n’en était pas encore aux hurlements à la lune du lycanthrope et ne montait pas trop à la gorge du genre humain. Nous le trouvions très-fort, et nous pensions qu’il serait le grand homme spécial de la bande. Les Rhapsodies s’élaboraient lentement et dans une ombre mystérieuse pour éclater en coup de foudre et aveugler ou tout au moins éblouir la bourgeoisie stupéfiée.

En attendant le jour de la publication, Petrus, qui était le plus parfait spécimen de l’idéal romantique et eût pu poser pour le héros de Byron, se promenait suivi de sa troupe, admiré de tous, fier de son génie, de sa beauté, le coin de son manteau jeté sur l’épaule, traînant derrière lui son ombre sur laquelle il n’aurait pas fallu marcher. Que de fois, aux soirées d’Hernani, on regrettait que ce ne fût pas Petrus qui jouât le rôle du bandit aimé de doña Sol, comme