Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/406

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Victor Hugo a fait paraître les Contemplations, la Légende des siècles, les Chansons des rues et des bois, trois recueils d’une haute signification, où se retrouvent avec des développements inattendus les anciennes qualités qu’on admirait dans les Orientales et les Feuilles d’automne. Des Contemplations date la troisième manière de Victor Hugo, car les grands poëtes sont comme les grands peintres : leur talent a des phases aisément reconnaissables. La pratique assidue de l’art, les enseignements multiples de la vie, les modifications du tempérament apportées par l’âge, l’élargissement des horizons vus de plus haut, tout contribue à donner aux œuvres, selon l’époque où elles se sont produites, une physionomie particulière. Ainsi, le Raphaël du Sposalizio, de la Belle Jardinière, de la Vierge au voile, n’est pas le Raphaël des chambres du Vatican et de la Transfiguration ; le Rembrandt de la Leçon d’anatomie du docteur Tulp ne ressemble guère au Rembrandt de la Ronde de nuit, et le Dante de la Vita nuova fait à peine soupçonner le Dante de la Divine Comédie.

Chez Hugo, les années, qui courbent, affaiblissent et rident le génie des autres maîtres, semblent apporter des forces, des énergies et des beautés nouvelles. Il viellit comme les lions : son front, coupé de plis augustes secoue une crinière plus longue, plus épaisse et plus formidablement échevelée. Ses ongles d’airain ont poussé, ses yeux jaunes sont comme des soleils dans des cavernes, et, s’il rugit, les autres animaux se taisent. On peut aussi le comparer au chêne