Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses exagérations héroïques et sa poésie fabuleuse remplaçant la science, souvent conjecturale.

La Légende des siècles, dans l’idée de l’auteur, n’est que le carton partiel d’une fresque colossale que le poëte achèvera si le souffle inconnu ne vient pas éteindre sa lampe au plus fort de son travail, car personne ici-bas n’est sûr de finir ce qu’il commence. Le sujet est l’homme, ou plutôt l’humanité, traversant les divers milieux que lui font les barbaries ou les civilisations relatives, et marchant toujours de l’ombre vers la lumière. Cette idée n’est pas exprimée d’une façon philosophique et déclamatoire ; mais elle ressort du fond même des choses. Bien que l’œuvre ne soit pas menée à bout, elle est cependant complète. Chaque siècle est représenté par un tableau important et qui le caractérise, et ce tableau est en lui-même d’une perfection absolue. Le poëme fragmentaire va d’abord d’Ève à Jésus-Christ, faisant revivre le monde biblique en scènes d’une haute sublimité et d’une couleur que nul peintre n’a égalée. Il suffit de citer la Conscience, les Lions, le Sommeil de Booz, pages d’une beauté, d’une largeur et d’un grandiose incomparables, écrites avec l’inspiration et le style des prophètes. La Décadence de Rome semble un chapitre de Tacite versifié par Juvénal. Tout à l’heure, le poète s’était assimilé la Bible ; maintenant, pour peindre Mahomet, il s’imprègne du Coran à ce point qu’on le prendrait pour un fils de l’Islam, pour Abou-Bekr ou pour Ali. Dans ce qu’il appelle le cycle héroïque