Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/43

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qui, en se mêlant vers les tempes au ton d’or de la peau, produisait des teintes verdâtres. Ses prunelles, étoiles de jais, brillaient de feux noirs sur une sclérotique jaune, et sa figure s’encadrait d’une légère ombre de barbe fine et soyeuse dont on eût pu compter les poils comme dans les miniatures indiennes. On eût dit bien plutôt un disciple de Calidaça ou du roi Soudraka, le poëte aux oreilles d’éléphant, qu’un élève enthousiaste de Victor Hugo.

Aussi lui faisait-on parfois cette plaisanterie de lui dire, lorsque l’heure de se retirer était venue : « Maharajah, votre palanquin est avancé et s’ennuie à la porte. »

Il était de petite taille, mince, souple, avec des mouvements de panthère noire de Java, et sa tête un peu petite tournait librement sur un col long négligemment cravaté d’un foulard blanc.

Cet aspect sauvage et féroce était purement pittoresque et n’indiquait nulle barbarie intérieure. Jamais il ne fut de cœur plus chaud, plus dévoué, plus tendre que celui de ce jeune tigre des jungles. Nous aimions tous d’ailleurs, quoique les meilleurs fils du monde, avoir l’air farouche et turbulent, ne fût-ce que pour imprimer une terreur salutaire aux bourgeois.

Comme les camarades du petit cénacle, Bouchardy savait tous les vers d’Hugo, et eût récité Hernani par cœur d’un bout à l’autre, tour de force qui alors n’étonnait personne, et que nous réalisions souvent