Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tes œuvres si bien accueillies de leurs petits comités ? » — Alors il n’avait pas encore rencontré l’escarbot roulant sa boule sur la route de Syrie qui lui parut d’un si mauvais augure, ni le hideux corbeau privé, commensal du pauvre ménage dont il accepta une tasse de vin dans la traversée de Beyrouth à Saint-Jean-d’Acre, et qu’il regarda comme un messager de malheur direct envoyé par le Sort. Un corbeau familier croassait et battait des ailes aussi rue de la Vieille-Lanterne, sur le palier de la rampe fangeuse, maculée de neige près des affreux barreaux, et peut-être à son heure suprême, le pauvre Gérard de Nerval, par un de ces sauts de pensée si fréquents aux moments solennels, se souvint-il du corbeau rencontré sur le pont du navire qui le fascinait de ses yeux fixes et fatidiques.

Mais il n’y avait pas alors le moindre nuage noir dans ce ciel d’aurore, il était impossible d’y découvrir les germes des désastres futurs. Aucun diseur de bonne aventure n’aurait été cru prédisant cette fin lamentable, en voyant dans le lointain de l’avenir se dessiner le fatal lacet comme un fil d’araignée.

Mais jouissons tranquillement de cette aube sans nuage et revenons au Gérard de ce temps-là, qui ne s’appelait pas Gérard de Nerval, mais Labrunie. Gérard était son nom de baptême. Comme Stendhal, il aimait à dissimuler sa personnalité sous différents pseudonymes ; quand il se sentait reconnu sous son faux nez, il le jetait et prenait un autre masque