Page:Gautier - Isoline et la Fleur Serpent, Charavay frères, 1882.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
145
LA FLEUR-SERPENT

milieu du plus parfait bonheur qu’elles détruisent pour toujours.

C’était en vain que la mère égarée s’efforçait de ranimer son chérubin et de le réchauffer sous ses lèvres ; le joli rire s’était tu pour jamais, cette vie à peine commencée finissait là.

Je m’éloignai en silence, douloureusement gêné d’être le témoin banal de cette douleur.

Il faisait jour encore ; je sortis dans le parc et j’errai le long des allées, d’un pas rapide, machinal. Mais, tandis que mon corps était pour ainsi dire abandonné, un singulier souvenir s’imposait à mon esprit, s’y construisait, comme une vision d’une netteté étrange. Je n’y distinguai d’abord aucun rapport avec le drame qui venait de me bouleverser, et je m’efforçai de le chasser comme une suggestion malsaine de la fièvre.

Je me revoyais à Calcutta, le soir d’une journée brûlante ; j’étais assis sous la vérandah de ma maison indienne, ranimé par la fraîcheur relative du soir, dont je jouissais délicieusement. Tout à l’entour les hauts arbres et les bosquets haussaient faiblement sous la brise qui m’envoyait des bouffées de chauds parfums. La clarté bleue de la lune lut-