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ISOLINE

Son esprit était dans ce milieu aussi mal à l’aise que son corps ; la solitude, les dangers, ses perpétuels voyages, l’avaient grandi. Les lectures nombreuses, qu’imposait la durée interminable des traversées, avaient amplifié son intelligence et développé le côté rêveur de son caractère. Peu mêlé aux hommes, il se faisait d’eux une idée assez différente de la réalité ; il ne leur prêtait que des pensées généreuses, nobles, héroïques même ; les Bretons surtout, les fils de ces corsaires qui stupéfièrent leur époque par des faits invraisemblables, lui paraissaient devoir être dévorés du désir de s’élever par quelque acte brillant au-dessus du niveau ordinaire ; la parfaite quiétude dans la nullité qui se révélait autour de lui renforçait sa tristesse et sa sauvagerie. Au milieu de sa propre famille il se faisait l’effet d’un goéland captif dans un poulailler.

Sa sœur, Sylvie Aubrée, avait la figure plate avec d’assez jolis yeux ; elle se coiffait mal et s’habillait de lainages sombres égayés de quelques cravates brillantes. Elle gourmandait ses filles, ou sa bonne, s’occupait du ménage et s’inquiétait des offices et des petits cancans de la ville ; hors de là, elle ne supposait, n’ambitionnait rien. Son mari était ins-