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L’ORIENT.

dans le jour, au milieu du silence relatif de la nuit, nous arrivaient des cafés chantants qui avoisinent la maison de la Cave populaire, avec les bouffées intermittentes de la brise. Sans doute nous eussions mieux aimé une musique arabe, aux tonalités bizarres et caractéristiques, accompagnée parle rhythme sourd des tarboukas, et lançant de temps à autre un de ces cris aigus, semblables aux ole des chansons espagnoles ; mais il faut bien se résigner à ces petits désappointements. Malgré les regrets des poëtes et des artistes, la civilisation impose ses modes, ses formes, ses usages, et ce que nous appellerions volontiers sa barbarie mécanique aux barbaries pittoresques, et le café chantant est un progrès sur les improvisateurs et les musiciens arabes ; c’est l’opinion des philistins, mais ce n’est pas la nôtre. Après tout, ces vagues lambeaux de musique n’étaient pas désagréables, car, ainsi que le dit Lorenzo à Jessica dans le Marchand de Venise, « le calme, le silence et la nuit conviennent aux accents de la suave harmonie. »