Page:Gautier - L’Usurpateur, tome 2.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’honneur. Tu t’écrias que tu ne l’aimais pas, en jetant sûr moi un regard où se laissait lire toute ton âme. Te souviens-tu comme j’eus l’air courroucée et méprisante ? Si tu savais pourtant quelle joie ineffable m’inondait : la gazelle qu’un tigre serre entre ses griffes puis abandonne tout à coup doit éprouver une sensation analogue à celle que j’éprouvais. Je compris alors que c’était moi que tu aimais, ton regard et ton émotion me l’avaient dit. En te quittant, je courus dans les jardins et j’écrivis le quatrain que je te donnai si légèrement.

— Il est là sur mon cœur, dit le prince : il ne me quitte jamais.

— Reconnais-tu ceci ? dit la Kisaki, en montrant au prince un éventail passé dans la ceinture de toile d’argent qui serrait sa robe.

— Non, dit Nagato ; qu’est-ce donc ? Elle prit l’éventail et le déploya.

Il était en papier blanc poudré d’or ; dans un coin, l’on voyait une touffe de roseaux et deux cigognes qui s’envolaient ; à l’autre angle étaient tracés quatre vers en caractères chinois.

« La chose qu’on aime plus que tout, dit la reine lisant les vers, que l’on aime mieux que nul ne saurait l’aimer, elle appartient à un autre ; — ainsi le saule qui prend racine