Un homme s’est trouvé, et cet homme est Chenavard, qui n’a pas été pressé de cette inquiétude de prendre la palette et de mêler plus ou moins au hasard des couleurs sur une toile. Le désir du tableau pour lui-même l’a peu agité, et il s’est dit que l’art devait descendre du cerveau à la main, et non remonter de la main au cerveau, et il a pensé que lorsqu’il serait savant il serait habile ; il a laissé les autres devenir adroits tout à leur aise, et lui, dans l’ombre où il s’était volontairement plongé, il s’est livré à une étude consciencieuse et philosophique de la peinture ; il a vu toutes les galeries d’Europe, analysé, copié et commenté toutes les fresques monumentales, et, par une fréquentation assidue, pénétré dans l’intimité secrète de Michel-Ange, de Raphaël, des dieux et demi-dieux de l’art : à force d’écouter les discours muets de leurs chefs-d’œuvre, il a recueilli des phrases mystérieuses qu’ils ne disent point à d’autres.
Cette moderne école allemande, si érudite et si pleine de pensées et de style sous son froid coloris, a été de sa part l’objet d’un examen attentif. Overbeck, Cornélius, Schnorr, Kaulbach, lui sont également familiers, et il a rêvé dans la Glyptothèque de Munich comme dans la chapelle Sixtine ; aucun chef-d’œuvre de l’esprit humain, même en dehors des arts plastiques, ne lui est demeuré étranger. Depuis Orphée jusqu’à nos jours, il n’est guère de poëte qu’il ne connaisse, même les mauvais ; il sait Mozart et Beethoven comme Homère et Dante. Les sommets les plus escarpés ne l’effraient pas ; il a gravi Platon, Spinosa, Kant, Schelling, Hégel, car il croit à la solidarité des sciences ; et à travers tout cela, il a rempli des cartons de dessins où se trouvent deux ou trois cent figures.