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INTRODUCTION

sous ces mêmes habits, avec ce même air, et ils y sont encore aujourd’hui. Prenez entre vos mains et mettez sous vos yeux un poëme du xive siècle, tel par exemple que le remaniement d’Ogier le Danois en vers alexandrins ; puis, un manuscrit en prose du xve siècle et un incunable[1] de 1520 ; et enfin, un de ces petits livres grossiers de la Collection de Troyes : vous serez frappé de la ressemblance qui existe entre tous ces types. C’est assez dire que l’histoire des Romans en prose se divise en trois périodes : celle des Manuscrits, celle des Incunables, celle enfin de la « Bibliothèque bleue », qui s’est prolongée jusqu’à nos jours et durera plus longtemps que nous…

Donc, les hommes du xive siècle s’ennuyèrent un jour de leurs longs et fades refazimenti en vers de dix et surtout de douze syllabes. Notre légende de Roland n’avait échappé à aucun déshonneur… Le plus médiocre de tous les rimailleurs s’en empara et la fit entrer un jour dans une vaste compilation sur la vie et les exploits de Charlemagne. J’ai nommé Girart d’Amiens et son poëme de commande, ce Charlemagne[2] où il

  1. V. la comparaison de ces textes dans les Épopées françaises, I, 309-312.
  2. Girart d’Amiens reçut de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, la commande d’un poëme sur Charlemagne. C’était dans le premier quart du xive siècle. Il se mit à l’œuvre, s’entoura de quelques-uns de nos vieux poëmes (Enfances Charlemagne, Ogier le Danois, Aubri le Bourgoinz), mais surtout plaça devant lui la Chronique de Turpin, et se mit à traduire, en vers de douze syllabes, épais et plats, ces documents de valeur si diverse. Son œuvre, qu’un seul manuscrit nous a conservée (B. N. 778, xive siècle), se divise en trois livres. Dans le premier, qui est presque tout entier légendaire, Girart raconte d’après les Enfances Charlemagne les premières années de son héros jusqu’au moment où il parvint à reconquérir son royaume usurpé par les bâtards de Pepin (fo 22 vo — 69 vo). ═ Le second livre est presque tout entier historique, et Girart y délaye Éginhart (fo 70-109). Mais le poëte de Charles de Valois regrette bientôt d’avoir fait une si large part à l’histoire, et, dès la fin de ce second livre (fo 110-124), résume les Enfances Ogier et raconte à sa manière le prétendu voyage de Charles à Jérusalem et à Constantinople. Le seul manuscrit de son poëme présente ici une lacune plus ou moins considérable. ═ Le troisième livre n’est guère (fo 125-168) qu’une méchante translation de la Chronique de Turpin, et c’est par là qu’il ne mérite même pas d’être cité.