Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
cxiij
HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

avoir été en proie à la médiocrité mortelle d’un Philippe Mouskes et d’un Girart d’Amiens, la légende de Roland dut subir cette nouvelle honte d’être dépouillée de son vêtement poétique et condamnée à la prose. Et quelle prose !

Six fois au moins elle fut travestie de la sorte ; et notez bien que nous ne parlons pas ici des traductions littérales du Turpin, parmi lesquelles on peut placer les Chroniques de Saint-Denys[1]. D’ailleurs, il n’a jamais existé, à notre connaissance, d’œuvre particulière en prose, portant le titre de Roland, et uniquement consacrée à cette nouvelle diffusion de notre légende. Non ; cet honneur qu’obtint Fierabras, notre vieux poëme ne l’obtint pas. Six fois notre légende fut insérée dans le corps d’une autre compilation ou d’un autre roman : dans Galien[2], dans les Con-

  1. Nous avons énuméré toutes ces traductions dans la note 3 de la p. lxxxvii.
  2. Il a très-probablement existé une version en vers de Galien. C’est du moins ce que nous donne à entendre le Prologue de la version en prose : « J’ai translaté, dit l’auteur, ce roman de rimes en prose. » Toutefois, je ne pense pas que ce Galien en vers ait été antérieur au xive siècle, ou aux dernières années du xiiie : il était sans doute en alexandrins. ═ Il y a quelques années, on ne connaissait encore ce roman que par les incunables, lorsque nous eûmes l’occasion d’en découvrir une rédaction manuscrite à la Bibliothèque de l’Arsenal (B. L. F, 226, xve s.). Nous en donnons plus loin, dans notre texte, une analyse très-succincte et qui suffit à notre sujet ; mais nous l’avons plus longuement résumé dans nos Épopées françaises (t. II, pp. 283, 284). ═ Cette œuvre où l’on avait délayé le poëme du xive siècle, fut elle-même délayée dans une nouvelle rédaction beaucoup plus développée et ornée de plus merveilleuses aventures, qui reçut de très-bonne heure les honneurs de l’impression. C’est dans ces éditions incunables qu’apparaît pour la première fois le mot rhetoré ou restauré. La plus ancienne est de 1500, chez Vérard, à Paris ; il en parut une en 1521, chez Trepperel ; une autre à Lyon, chez Nourry, en 1525 ; d’autres à Paris, en 1527 et 1550, etc. ═ Galien fut un des premiers Romans qui passa dans la « Bibliothèque bleue » de Troyes, chez Oudot (1606, 1622). Même succès pendant tout le xviie et tout le xviiie siècle, et les éditions de Galien restauré se multiplient de plus en plus : elles sortent surtout de Troyes et de Montbéliard. ═ Encore aujourd’hui, ce livre n’est pas sans jouir de quelque réputation parmi le peuple des campagnes. Outre une édition récente de Deckherr, à Montbéliard, nous signalerons celle qui semble avoir le plus de lecteurs. C’est un in-4o  en gros papier gris-bleuâtre, qui porte d’ailleurs le même titre que les précédents : Histoire des nobles prouesses et vaillances de Gallien restauré, fils du noble Olivier le Marquis et de la belle Jacqueline, fille du roi Hugon, empereur