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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

comme nos remanieurs sur le texte d’Oxford[1]. Il a d’ailleurs traduit son original avec grâce, mais sans chaleur. Le modèle était vivant ; la traduction est assez élégante… pour être morte. Malgré tout, il n’était pas impossible d’écrire encore quelque chose de plus plat. Vers le commencement du xive siècle, l’auteur du Karl Meinet[2] a fait entrer dans cette vaste compilation un autre remaniement du Roncevaux. D’après quel modèle écrivait-il ? D’après le Ruolandes Liet, s’il faut en croire M. G. Paris ; mais, si l’on adopte l’opinion de M. Bartsch, d’après certain remaniement du poëme de Conrad qui appartiendrait au xiiie siècle et ne serait point parvenu jusqu’à nous. La question est délicate. Mais un fait qui est au-dessus de toute discussion, c’est la popularité très-éclatante et très-profonde de notre légende de Roland, qui, durant l’espace d’un siècle ou deux, a donné lieu à trois œuvres capitales en Allemagne, et ces trois œuvres sont plus ou moins directement d’origine française. Elles sont sorties de notre vieux poëme, semblables à ces ruisseaux qui coulent en Allemagne, mais sortent d’une source française.

Jusqu’à présent, c’est de notre Chanson elle-même que nous avons constaté la gloire ; mais voici une autre preuve de la célébrité de notre héros. Ce sont ces nombreuses statues qui, dans quarante ou cinquante villes de la basse Saxe, se voient au milieu de la place publique, qui représentent un chevalier en armes et sont désignées sous le nom de Rolandssaülen ou « colonnes de Roland ». On a déjà écrit sur ces monuments singuliers vingt Dissertations[3], que dis-je ? vingt volumes entiers.

  1. Sauf cependant dans son Introduction où il raconte, d’après des traditions orales, l’enfance et la jeunesse de Charlemagne.
  2. Le Karl Meinet a été publié en 1858 par Ad. Keller, et M. Bartsch en a fait, trois ans plus tard, l’objet d’un travail considérable : Ueber Karl Meinet, ein Beitrag zur Karlsage, von Karl Bartsch, Nürnberg, in-8o, 1861.
  3. Voici une Bibliographie abrégée des travaux dont les « Rolandssaülen » ont été l’objet : « a. Joh. Gryphiander, De Weichbildis saxonicis, sive colossis Rulandinis urbium quarumdam Saxonicarum, commentarius historico-juridicus, Argentorati, 1666, in-4o. — b. J. F. Rhetius, Disputatio jur. publ. de Statuis Rolandinis in urbibus et vicis quibusdam Germaniæ, etc.