étranger, il faut avouer que les IXe et Xe siècles furent admirablement favorables à l’essor de notre poésie nationale. Seule alors, l’Église gardait les secrets de la vraie science et de la critique sévère. Mais, partout ailleurs, que de fables, et quel amour opiniâtre pour la fable ! Lorsque les Bollandistes écrivirent leur merveilleux Recueil, les Actes des saints qui exercèrent le plus péniblement la sagacité de leur critique furent ceux de cette étrange époque. Même ils durent, au IXe siècle, constater un véritable débordement de la légende, qui mérite alors le nom de mensonge. Mais, dans la littérature populaire, le triomphe de la légende était plus entier, plus éclatant encore : c’est ce qu’attestent tous les monuments de cette époque. En voulez-vous une preuve entre mille ? Vers la fin du Xe siècle, un chroniqueur, que dis-je ? un faussaire, s’imagina d’appliquer à Charlemagne lui-même un texte qu’Éginhard avait appliqué aux seuls messagers de l’Empereur. Oui, l’historien avait dit : « Les députés de Charles vinrent à Jérusalem, » et Benoît, moine de Saint-André au mont Soracte, ne craint pas d’écrire : « Charles vint à Jérusalem. » Vite, la légende s’empare de cette fable ; vite le peuple admet et croit que le fils de Pépin est allé en personne adorer le Saint Sépulcre[1]. Et plus d’un poëme, notez-le bien, est sorti de cette légende que tout un peuple avait rapidement et universellement adoptée. Et tout le moyen âge est plein de cette tradition singulière ; et la Bibliothèque bleue l’offre encore aujourd’hui à la crédulité de ses nombreux lecteurs. Combien d’autres exemples nous pourrions citer !
S’il faut à l’Épopée, pour se développer et fleurir au soleil
- ↑ V. les Épopées françaises, (t. II, p. 265), où nous avons, le premier, développé cette thèse. Éginhard (Vita Karoli, c. xvi) avait dit : « Cum legati Karoli quos cum donariis ad sanctissimum Domini ac Salvatoris nostri sepulchrum locum que resurrectionis miserat, ad eum venissent, etc. etc. » Et, dans la Chronique du moine Benoît, on lit : « Cum ad sacratissimum Domini ac Salvatoris Jesu Christi sepulchrum locumque resurrectionis Carolus advenisset, etc. etc. » (Pertz, Scriptores, III, pp. 710, 711). Toute la suite du texte d’Éginhard a été tronquée dans le même sens : nous l’avons longuement fait voir. (I. I., pp. 263-266.)