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INTRODUCTION

la Chronique de Turpin, un modèle français qui ne se rapportait pas à la plus ancienne version de notre poëme[1]. Du reste, les manuscrits français du Roland qui ont existé en Angleterre, prouvent que notre légende y était connue, y était aimée. Ajoutons que notre Conqueste du grand roi Charlemaigne a été traduite en anglais sous le titre de The lyf of Charles the Great. Cette traduction sortit, le 18 juin 1485, des presses de Caxton ; mais les critiques anglais se sont trompés en la considérant comme une œuvre originale dont Caxton lui-même aurait été l’auteur[2]. Trop de patriotisme peut quelquefois nuire à la vérité.

Et maintenant redescendons vers le midi, en traversant la Pologne, la Hongrie, la Russie, l’Orient. Nous n’y entendrons point, par malheur, beaucoup d’échos de notre légende. Je ne pense pas que la Pologne ait connu ce Roland qu’elle aurait si bien compris et aimé. Une traduction de notre vieux poëme a été récemment publiée à Varsovie ; mais c’est une œuvre artistique plutôt que populaire[3]. Matthias Corvin, d’après son biographe[4], oubliait le boire et le manger pour écouter les chants où était célébré le neveu de Charlemagne : il se levait alors plein d’enthousiasme et faisait de grands gestes comme s’il avait dix mille ennemis devant lui et une armée à sa suite. Je consens à ce que Depping ait entendu chanter, par des paysans de la Sibérie, un chant populaire calqué sur la célèbre romance espagnole :

  1. V. des fragments du Roland anglais dans l’édition de la Chanson de Roland, de F. Michel, pp. 279-284. ═ Cf. Meyer, Bibliothèque de l’École des Chartes, t. XXVIII, p. 309 ; Épopées françaises, t. I, p. 415.
  2. C’est ce qu’a démontré G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 157 : « Le seul nom d’Henri Bolomyer, chanoine de Lausanne, suffit pour nous faire voir que Caxton avait simplement traduit, et, comme il le dit lui-même, réduit en anglais le livre de la Conqueste de Charlemaigne ou de Fierabras, dont la Préface est, en effet, adressée à maistre Henri Bolomyer, chanoine de Lausanne. »
  3. Cette traduction, signée de Mme Duchinska (M. Pruszak), est en vers blancs, quelquefois rimés. Elle a paru en janvier 1866 dans la Bibliothèque de Varsovie.
  4. Galeoti Martii Narniensis, De Dictis et factis Matthiæ regis, cap. xii. — Scriptores rerum Hungaricarum, ed. Joanne G. Schwanduero, Vindobonæ, 1746-1748, t. I, p. 543.