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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

même courant d’opinion que la Cronica general ; les autres sont sorties de nos Chansons de geste plus ou moins exactement comprises et imitées. À vrai dire, je crois que ce dernier courant finit par l’emporter. L’Espagne aussi a sa Bibliothèque bleue, et son livre le plus populaire, c’est l’Historia de Carlomagno, de Nicolas del Piemonte, qui a conservé depuis 1528 jusqu’à nos jours toute sa fraîcheur, toute sa vogue. Or, qu’est-ce que l’Historia del emperador Carlomagno y de los doce Pares de Francia ? Une traduction pure et simple de notre Conqueste du grant Charlemaine des Espaignes, ou, pour parler plus net, de notre Fierabras auquel on a joint quelques chapitres sur Roncevaux, empruntés au Faux Turpin. Cette traduction espagnole fut elle-même traduite en portugais, et ornée, au xviiie siècle, de deux Suites également portugaises[1], où il n’est plus question de Roncevaux ni de Roland. Bref, la tradition française triomphait dans toute la Péninsule. Les « huit Romances » de Juan Jose Lopez[2] ne sont encore, au xviie siècle (?), qu’un résumé poétique de notre éternel Fierabras. Comme on le voit, le sol de l’Espagne et les oreilles des Espagnols étaient bien préparés pour accueillir tout ce qui chantait la gloire de Roland, et cela bien avant Juan Jose Lopez et ses romances. Lorsque la célébrité de la nouvelle école des poëtes italiens, lorsque la renommée de Boiardo et de l’Arioste franchit la mer et parvint en Espagne, il se trouva une foule de poëtes espagnols pour traduire l’Orlando innamorato et l’Orlando furioso. Ces traductions pullulèrent[3], et l’on entendit partout retentir le nom

  1. Segunda parte (1737) par Jeronimo Moreira. — Terceira parte (1745), par Alexandro Caetano Gomez Flaviense.
  2. Romances de Charlemagne et des douze Pairs de France, qui contiennent les combats d’Olivier et de Fierabras, les amours de Florippe et de Guy de Bourgogne avec beaucoup d’autres aventures, amours et guerres. On y rapporte aussi la bataille de Roncevaux, la mort de Roland et d’autres pairs de France, le tout suivant l’Histoire de Charlemagne et la Chronique de l’archevêque Turpin. (Cf. le Romancero d’Aug. Durant, II, p. 229-243, le Romancero general, I, 267 et les Vieux Auteurs castillans, de M. de Puymaigre, II, p. 327).
  3. Des traductions de l’Orlando innamorato, de Boiardo, parurent à Séville en 1545, 1549, 1550 (sous ce titre : Espejos de cavallerias) ; à Lerida en