Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
cxlvj
INTRODUCTION


XV. — la période de l’ingratitude et de l’oubli le dernier outrage


Voici ce qui certain jour est arrivé à un grand peuple : « Décidément, s’est-il dit en s’éveillant, il faut que j’aie une littérature, une poésie, une épopée. On m’assure, et je me persuade que depuis mille ans je n’ai rien fait encore pour conquérir ce trésor. Rien, rien, je n’ai rien. Pas même une langue digne de chanter les héros… que je n’ai point. Je suis absolument barbare. Il est vrai que je suis en même temps chrétien et catholique ; mais Poésie et Vérité sont, paraît-il, deux choses fort distinctes, et, bien que je possède dans l’Église la plénitude de l’absolue Vérité, je suis, littérairement parlant, demeuré à l’état sauvage. Ma propre histoire m’ennuie et me dégoûte. Clovis est un enfant cruel qui me fait horreur ; Charlemagne est encore d’une rudesse toute germaine ; Roland a-t-il existé ? saint Louis et Jeanne d’Arc sont-ils poétiques ? Oh ! qui me donnera de beaux héros aux noms sonores et gracieux ? Qui me donnera un langage harmonieux et noble ? Mais voici mes héros, les voici. Salut, ô Grèce antique ! Hector, Agamemnon, salut ! Délicieux idiome, le plus beau qui soit né sur les lèvres humaines, je veux te parler, je veux te faire peu à peu pénétrer comme un rayon charmant dans les ténèbres et dans la laideur de ma langue native. Je vais, je vais remonter joyeusement le cours des siècles écoulés, et, puisque le christianisme n’a pas porté bonheur aux lettres, m’élancer d’un bond au delà des âges chrétiens. Cher paganisme, tu es le père de la beauté ; sans toi pas de riantes images, pas de beaux vers, pas d’épopée, pas de patrie. Je serai païen en poésie, en histoire, en art, et chrétien seulement aux heures de la prière. Tout était mort, tout va revivre : c’est la Renaissance ! »