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INTRODUCTION

débris de monographies sans largeur et sans lien. Vienne donc un grand ouvrage qui soit tout entier consacré à nos origines littéraires ! Voici cette œuvre que nous attendons, voici l’Histoire littéraire des Benédictins[1]. Je plains ceux qui sont aujourd’hui tentés de sourire des naïvetés et des hardiesses de D. Rivet. Oui, l’illustre Benédictin a quelquefois été trop loin, et je ne saurais admettre avec lui que les Remaniements de notre Roland soient du xie siècle « tout au moins ». Cependant je ne m’indigne pas, et vivent de telles exagérations ! Il est beau de pécher par excès de patriotisme. La véritable critique aura son tour et rétablira bientôt toutes choses en leur place. Bref, les auteurs de l’Histoire littéraire ont été ceux qui ont le mieux contre-balancé l’influence de Voltaire, et qui ont surtout le mieux préparé la réhabilitation de nos vieux poëmes. Laissons après cela, laissons le traducteur de J. de Ferreras s’écrier, au sujet de Roncevaux : « Ce n’est qu’un tissu de fables et de contes de vieilles[2].  » Laissons le P. Daniel insulter Roland, en ne le croyant renommé « que dans les contes de l’archevêque Turpin[3]. » De telles erreurs sont presque aussitôt réparées que commises. D. Carpentier, dans le même temps, complète le Glossaire de Ducange[4] ; l’Encyclopédie elle-même[5] est forcée de discuter la signification des « statues de Roland » et enfin, Lacurne de Sainte-Palaye commence héroïquement ses gigantesques travaux. Il fait transcrire nos Chansons de geste[6] ; il leur emprunte, pour son Dictionnaire, dix mille exemples très-précieux. Au milieu de l’indifférence générale, dom Rivet et lui ne désespèrent pas. C’est ainsi

  1. Histoire littéraire de la France, VIe vol., 1742 (pp. 12 et ss.), et VIIe vol., 1746 (pp. lxiii-lxxxii de l’Avertissement). Dans le tome VII, D. Rivet distingue la Chanson de Roland du Roman de Roncevaux, et attribue au onzième siècle ce dernier texte qui est en réalité un remaniement du treizième.
  2. D’Hermilly, Histoire générale de l’Espagne, traduite de l’espagnol de Jean de Ferreras, 1751 et ss.
  3. Histoire de France, 1756, II, 40.
  4. Le Supplément de D. Carpentier parut en 1756.
  5. Au mot Roland. ═ Cf. le Second Voyage de deux religieux bénédictins, qui, p. 250, parlent de la statue de Roland à Stadtberg.
  6. V. les copies de Sainte-Palaye, à la Bibliothèque de l’Arsenal.