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INTRODUCTION

gueta. Le défilé est tellement étroit dans ce passage, que deux ou trois hommes y peuvent seuls marcher de front. À droite et à gauche s’élèvent des forêts impénétrables. Tout à coup, un bruit terrible se fait entendre. Ce sont des cris de joie, des cris sauvages. Un grand mouvement se fait dans les bois : des milliers d’hommes en sortent et se jettent sur ces soldats qui marchent deux à deux entre des rochers… Ces agresseurs inattendus, c’étaient les montagnards basques que tentait l’espoir d’un gros butin, et qui d’ailleurs, comme tous les montagnards, n’aimaient pas que l’on violât ainsi leurs montagnes. Ils précipitèrent les Franks dans le petit vallon qui est là, tout près, afin de se donner la joie de les égorger plus à l’aise. Et, de fait, ils les massacrèrent tous : oui, tous, jusqu’au dernier. Ces vieux soldats, qui avaient fait toutes les campagnes de Charles, ils périrent là obscurément, frappés par des ennemis inconnus et vils. Leurs cris de mort parvinrent sans doute jusqu’aux oreilles du Roi qui voulut les venger et revint sur ses pas pour punir une aussi lâche agression. Mais, hélas ! la nuit noire était tombée, et Charles ne trouva plus un seul Gascon sur le champ de bataille que couvraient les corps sanglants des héros franks. On fouilla vigoureusement les bois voisins ; mais on n’y trouva aucun montagnard : ils connaissaient trop bien ce pays, et s’y étaient trop facilement cachés. Vaincu par un aussi méprisable ennemi qu’il ne pouvait atteindre, le jeune roi dut, la rage au cœur, renoncer à toutes représailles. Il revint en France, et, comme le dit Éginhard, la douleur que lui fit ressentir cet échec effaça dans son âme le souvenir joyeux de toutes ses victoires en Espagne[1].

  1. Voici les textes très-importants sur lesquels s’appuie toute notre légende et d’où notre Chanson est sortie. ═ I. « Tunc Karolus, ex persuasione Sarraceni, spem capiendarum quarumdam in Hispania civitatum haud frustra concipiens, congregato exercitu, profectus est, superatoque in regione Wasconum Pyrinei jugo, primo Pompelonem, Navarrorum oppidum, aggressus, in deditionem accepit. Inde, Hiberum amnem vado trajiciens, Cæsaraugustam, præcipuam illarum partium civitatem, accessit, acceptisque quos Ibinalarbi et Abuthaur quosque alii quidam Sarraceni obtulerant obsidibus, Pompelonem revertitur. Cujus muros, ne rebellare posset, ad solum usque