Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xx
INTRODUCTION

temporain, que les Arabes se soient unis aux Basques dans cette aventure terrible, qui compromit un instant les destinées de Charles et pouvait compromettre celles de tout l’Occident chrétien[1]. Ce qu’il y a de certain, c’est que le désastre fut considérable. L’intensité de la légende prouve même que les historiens ont atténué cette défaite. Un simple accident d’arrière-garde n’aurait jamais produit un tel dégagement de poésie.

Voilà, voilà bien notre fait central : mais quel sera notre héros ?

Le héros, dans une Épopée, c’est rarement le Roi[2], que sa grandeur attache parfois au rivage et auquel, dans la poésie primitive, on garde plus souvent le rôle de vengeur. Ici, ce n’est pas Charles, mais Roland. Or, nous ne pensons pas que dans aucune Épopée il existe un héros qui résume plus fidèlement son temps et son pays. La Légende en a fait d’autant plus volontiers un type, un idéal complet, que l’Histoire nous avait laissé sur lui moins de détails. Le peuple lui a prêté la taille et la force d’un géant[3] : car ces générations étaient fortes et

    rex Karolus cum magno exercitu venit in teriam Galliciam et adquisivit Pampalonam. Deinde, accepit obsides in Hispania de civitatibus Abitauri atque Ebilarbii quorum vocabulum Osca et Barzelona necnon et Gerunda. Et ipsum Ebilarbiurn vinctum duxit in Franciam. » (Annales Petaviani, ann.778, Historiens de France, V, 14.) Cf. Chronicon Laurisha mense, etc.

  1. V. Reinaud, Invasions des Sarrazins en France, p. 96. — Il ne faut point perdre de vue ce texte d’Éginhard, qui nous montre en 806 les habitants de Pampelune et de toute la Navarre rentrant sous la domination de Charles après s’être donnés aux Sarrasins quelques années auparavant.
  2. « En général, le Héros Indo-Européen n’est pas le Roi : il appartient toujours à la descendance la plus illustre, mais il n’est pas le Chef des chefs. Ainsi ce n’est pas Rama, mais Dasaratha, qui représente la splendeur de la Royauté indienne. Il en est de même dans le Maha-Barata et dans le Schanameh. À côté du héros Rustem, il y a le roi de Perse, Kaus. À côté d’Achille, Agamemnon. Ce n’est pas le Roi des rois, mais le fils de Pélée qui peut tuer Hector et accomplir l’œuvre de la prise de Troie. C’est Parceval avec ses compagnons, et non pas le roi Artus, qui conquerra le Saint Graal… » (D’Avril, Chanson de Roland, p. xxxi.)
  3. V. sur la taille gigantesque de Roland, outre vingt passages de nos Chansons, le trop fameux distique de la ville de Spello : « Orlandi hic Caroli