Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/202

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INTRODUCTION

J’ai écrit ces pages durant le siége de Paris, en ces heures lugubres où l’on pouvait croire que la France était à l’agonie ; je les ai écrites, tout enveloppé de tristesse et des larmes plein les yeux. Je les achève, en proie à cette même douleur, en entendant les éclats sinistres du canon prussien. Je ne puis dire jusqu’à quel point, en ces rudes moments, j’ai trouvé d’actualité à notre vieux poëme. Qu’est-ce après tout que le Roland ? C’est le récit d’une grande défaite de la France, d’où la France est sortie glorieusement et qu’elle a efficacement réparée. Eh bien ! quoi de plus actuel ? Nous n’avons encore, il est vrai, assisté qu’à la défaite ; mais il n’est pas sans quelque gloire, ce Roncevaux du xixe siècle, et demain nous saurons bien le réparer par quelque grande et belle victoire de Saragosse. Dieu n’arrêtera point pour nous le soleil dans les cieux ; mais il saura bien nous protéger de quelque autre manière, il saura bien nous sauver. Il suscitera le Charlemagne qui nous fait si absolument défaut ; il le suscitera, vous dis-je, et l’emploiera à nous remettre en honneur. Il n’est vraiment pas possible qu’elle meure, cette France de la Chanson de Roland qui est encore la nôtre ; cette France, malgré tout si chrétienne, si fidèle, si bien faite pour être le « premier ministre de Dieu au département des affaires catholiques ». Où étaient-ils, quand notre Chanson fut écrite, où étaient-ils, nos orgueilleux envahisseurs ? Ils erraient en bandes sauvages sous l’ombre de forêts sans nom : ils ne savaient, comme nous le disions plus haut, que piller et tuer. Quand nous tenions d’une main si ferme notre grande épée lumineuse près de l’Église armée et défendue, qu’étaient-ils ? Des Mohicans ou des Peaux-Rouges. Ils n’égorgeront pas la France, si la France veut répondre à sa mission, qui est de défendre la Vérité. Je sais que mon pauvre pays est en ce moment livré à leur rage ; je sais qu’ils sont vainqueurs, qu’ils triomphent. Nos villes sont brûlées, nos cathédrales déshonorées, nos campagnes désertes, nos villages en cendres, nos plus belles provinces ruinées. Mais, même à la voir ainsi, j’aime la France. Je l’aime autant, je l’aime plus encore qu’au temps de sa florissante beauté, qu’avec ses villes splendides, ses champs