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LA CHANSON DE ROLAND

« Et l’on vous conduira à Aix, siége de l’Empire.
« Un jugement y finira vos jours,
« Et vous y mourrez dans la vilenie, dans la honte ! »
Le roi Marsile fut alors tout saisi de frémissement.
Il tenait à la main une flèche empennée d’or ;
Il en veut frapper Ganelon ; mais par bonheur on le retient...


XXXIV


Le roi Marsile a changé de couleur,
Et brandit dans sa main le bois de la flèche.
Ganelon le voit, met la main à son épée,
Et en tire du fourreau la longueur de deux doigts :
« Épée, lui dit-il, vous êtes très-claire et très-belle.
« Tant que je vous porterai à la cour de ce roi,
« L’empereur de France ne dira pas
« Que je serai mort tout seul au pays étranger.
« Mais, avant ma mort, les meilleurs vous auront payée de leur sang.
« — Empêchons la mêlée, » s’écrient les Sarrasins.


XXXV


Les meilleurs des païens ont tant prié Marsile,
Qu’il s’est enfin rassis dans son fauteuil ;
Et le Calife : « Vous nous mettiez, dit-il, en vilain cas,
« Quand vous vouliez frapper le Français.
« Il fallait l’écouter et l’entendre.
« — Sire, dit Ganelon, je veux bien tout oublier ;
« Mais jamais je ne consentirai, pour tout l’or que Dieu fit,
« Ni pour tous les trésors qui sont en ce pays,
« À ne pas dire, si l’on m’en laisse le loisir,
« Le message que Charles, le Roi très-puissant,
« Vous mande à vous, son ennemi mortel. »