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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/29

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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

l’on voulait être complet, il faudrait ajouter que cet esprit a subi en outre l’influence de l’idée chrétienne, et que notre Roland, par exemple, est le chant roman des Germains christianisés. Voilà l’exposé de tout notre système.

Après cette profession de foi, nous nous trouvons encore en présence de deux adversaires, ou plutôt de deux écoles. L’une est celle des ultragermanistes ou ultrascandinaves, qui prétendent que nos Chansons dérivent immédiatement et matériellement des traditions scandinaves et germaines. M. d’Avril a peut-être fait trop de concessions à cette dangereuse école, lorsqu’il a dit que « Roland procède de Sigurd ». Mais le représentant le plus complet du système est M. Hugo Meyer. On se ferait difficilement une idée des audaces de cet érudit ; c’est vraiment le dévergondage de la science allemande. Écoutez plutôt : « Le nom de Ganelon vient du francique Gamalo, qui répond au norois gamal, vieux ; le vieux est souvent le surnom du loup : donc, le nom de Ganelon, qui signifie proprement le Vieux, veut dire implicitement le Loup. Ganelon joue à Roncevaux le rôle du loup dans le crépuscule des dieux. Le rôle donné au loup par la mythologie scandinave repose d’ailleurs sur ce fait que le crépuscule est gris comme le loup, et qu’il engloutit la lumière comme un loup. » Et plus loin : « Roland, ennemi de Ganelon, c’est le dieu de la lumière combattant Fenris. » C’est principalement l’Edda qui est la base de l’argumentation de M. Hugo Meyer, et voici en quels termes il conclut toute sa thèse que nous dénonçons vivement au bon sens du lecteur français : « Je soutiens que la légende francique de Roland a pour base le mythe du dieu Hruodo ou Roldo, qui, vers l’an 800, pouvait avoir cette forme : Le dieu du soleil, Hruodo, fils de Bertha, remarquable par son épée

    mots serait la fausser. Ce n’est donc qu’avec bien des réserves, et en l’appliquant seulement à une partie de notre ancienne poésie, que je me permettrais d’énoncer ici la formule qui me semble aujourd’hui la plus satisfaisante. Prise en gros et au moins sous un de ses aspects les plus importants, l’Épopée française du moyen âge peut être définie : l’esprit germanique dans une forme romane. J’espère développer quelque jour ce point de vue. »