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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Ludwigslied ou de la Cantilène de Saucourt[1], que M. Paul Meyer considère comme un poëme clérical, et qu’il récuse avec une sévérité peut-être excessive. Deux textes nous suffiront : l’un appartient à notre première race, le second est du XIe siècle. Le premier est le Chant de saint Faron ; l’autre est le texte si précieux de la Vie de saint Guillaume de Gellone…

Personne, parmi les érudits, ne récuse l’autorité du Chant de saint Faron. Le sujet en est bien connu… En 620, le roi Clotaire reçut une ambassade de Bertoald, roi des Saxons : ces messagers tinrent devant lui un langage dont rien n’égala l’outrecuidance. À barbare barbare et demi. Clotaire, indigné, fit jeter les ambassadeurs en prison et ordonna qu’on leur tranchât la tête le lendemain. Par bonheur, il y avait à la cour du roi frank un homme de sang-froid ; mieux encore, un véritable chrétien. C’était Faron, qui devait un jour être évêque de Meaux, mais qui n’était point encore engagé dans les saints Ordres. Il résolut de sauver les messagers saxons et avec eux l’honneur de la nation franke. Il se fit ouvrir les portes de leur prison, les instruisit rapidement de la foi chrétienne, les émut, les convertit, les baptisa. Puis, le lendemain : « Ce sont des chrétiens, dit-il à Clotaire ; vous ne pouvez les faire périr. » Le Roi pardonna aux ambassadeurs, mais en réalité n’oublia

    que notre adversaire considère comme « ne se rattachant pas directement à notre sujet. » Nous observerons cependant qu’il y a toujours eu corrélation entre les chants populaires de l’ordre religieux et ceux de l’ordre militaire. Ils ont généralement passé par les mêmes phases et subi les mêmes vicissitudes, et cette corrélation existe encore de nos jours. Leur popularité, aux uns et aux autres, se reconnaît à ce caractère distinctif : « d’être chantés par tout le peuple, et non pas seulement par des chanteurs de profession. » Nous ne saurions trop insister là-dessus.

  1. Le Ludwigslied fut composé à l’occasion de la grande victoire que Louis III remporta en 881, à Saucourt-en-Vimeux, sur les Normands envahisseurs commandés par Gormond et secourus par le traître Isambard. La Cantilène parle du roi Louis comme étant encore vivant. Or, il mourut le 4 avril 882. Donc, le Ludwigslied est antérieur à cette date. Ce précieux monument de la langue tudesque, découvert par Mabillon, a été publié pour la première fois par M. Hoffmann de Fallersleben. (V. sa traduction, Épopées françaises, I, 56-58.)