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LA CHANSON DE ROLAND

Monté sur son cheval qu’il appelle Gaignon ;
Il l’éperonne vivement et va frapper Beuves,
Sire de Beaune et de Dijon ;
Il lui brise l’écu, lui rompt les mailles du haubert,
Et l’abat mort du premier coup ;
Puis le roi sarrasin tua encore Ivoire et Ivon
Et, avec eux, Girard de Roussillon.
Le comte Roland n’était pas loin :
« Que le Seigneur Dieu te maudisse, dit-il au païen,
« Puisque tu m’as si cruellement privé de mes compagnons.
« Tu vas, avant de nous séparer, le payer d’un rude coup,
« Et savoir aujourd’hui le nom de mon épée. »
Alors il va le frapper en vrai baron
Et lui tranche du coup le poing droit ;
Puis il prend la tête de Jurfaleu le blond,
Qui était le propre fils du roi Marsile.
« À l’aide ! à l’aide ! Mahomet, s’écrient alors les païens.
« Ô nos dieux, vengez-nous de Charles.
« Quels félons il a laissés devant nous sur la terre d’Espagne !
« Plutôt que de nous laisser le champ, ils mourront.
« — Nous n’avons plus qu’à nous enfuir, » se disent-ils l’un à l’autre.
Et voilà que, sur ce mot, cent mille hommes tournent le dos.
Les rappeler ? c’est inutile. Ils ne reviendront pas.


CXLIV


Mais, hélas ! à quoi bon ? Si Marsile est en fuite,
Son oncle le Calife est resté.
Or c’est celui qui tenait Carthage, Alferne, Garmaille
Et l’Éthiopie, une terre maudite ;
C’est celui qui était le chef de la race noire,
De ces gens qui ont le nez énorme et larges les oreilles :
Et il y en a là plus de cinquante mille