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LA CHANSON DE ROLAND

Enfin ils trouvent les traces des païens,
Et, d’une ardeur commune, commencent la poursuite.
Mais le Roi s’aperçoit alors que le soir descend.
Alors il met pied à terre sur l’herbe verte, dans un pré,
S’y prosterne, et supplie le Seigneur Dieu
De vouloir bien pour lui arrêter le soleil,
Dire à la nuit d’attendre, au jour de demeurer...
Voici l’Ange qui a coutume de parler avec l’Empereur,
Et qui, rapide, lui donne cet ordre :
« Chevauche, Charles, chevauche ; la clarté ne te fera point défaut.
« Tu as perdu la fleur de la France, Dieu le sait,
« Et tu peux maintenant te venger de la gent criminelle. »
À ces mots, l’Empereur remonte à cheval.


CLXXXI


Pour Charlemagne Dieu fit un grand miracle :
Car le soleil s’est arrêté, immobile, dans le ciel.
Les païens s’enfuient ; mais les Français les poursuivent,
Et, les atteignant enfin au Val-Ténèbres,
À grands coups les poussent sur Saragosse ;
Ils les frappent terriblement, ils les tuent,
Ils leur coupent leurs chemins et leurs voies...
Devant eux est le cours de l’Èbre ;
Le fleuve est profond et le courant terrible.
Pas de bateau, pas de dromond, pas de chaland.
Alors les Sarrasins invoquent Tervagant, un de leurs dieux ;
Puis se jettent dans l’Èbre, mais n’y trouvent pas le salut.
Parmi les chevaliers qui sont les plus pesants,
Beaucoup tombent au fond ;
Les autres flottent à vau-l’eau ;
Les plus heureux y boivent rudement.